GRAP (Groupement Régional Alimentaire de Proximité), une coopérative réunissant des activités de transformation et de distribution dans l'alimentation bio-locale, a publié le récit de sa dégooglisation sur son site web. Avec leur autorisation, nous reproduisons ici ce long texte en trois parties pour vous partager leur expérience.
(Textes parus sur le Framablog en février 2023.)
De 2018 à cette fin 2022, nous avons travaillé à Grap à notre dégooglisation. Nous vous proposons ce long texte en trois parties pour vous partager notre expérience. Son premier intérêt est de laisser une trace du travail fourni et d'en faire le bilan. Le deuxième intérêt est de partager cette expérience à d'autres structures qui souhaiteraient se lancer dans l'aventure. Nous partageons dans ce texte les processus mis en place, les différentes étapes de cette dégooglisation, les difficultés rencontrées et quelques conseils. Pour toute question ou retour, vous pouvez contacter le pôle informatique de Grap : pole-informatique \<arobase> grap.coop
Bonne lecture et longue vie aux outils numériques émancipateurs et Libres !
Il y a 10 ans, Grap naissait en tant que SCIC (Société Coopérative d'Intérêt Collectif). En 2012 est écrite une 1ère version du préambule des statuts qui décrit l'intérêt collectif qui réunit les associé·e·s de la SCIC. Ce préambule présentait alors que Grap aller « Contribuer au développement d'activités économiques citoyennes et démocratiques, c'est-à-dire (...) travaillant dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons ». Cette 1ère référence au monde du Libre est complétée et enrichie 5 ans plus tard à l'occasion d'une révision du préambule des statuts, en 2017. Désormais le préambule des statuts indique que Grap entend :
Contribuer au développement d'activités économiques citoyennes et démocratiques (...) promouvant l'économie des biens communs, c'est à dire :
- Travailler dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons
- Promouvoir, contribuer et utiliser des logiciels libres au sens de la Free Software Foundation ; minimiser l'utilisation de logiciels sous licences privatives
- Promouvoir, contribuer et utiliser des solutions informatiques qui n'exploitent pas de façons commerciales les données des utilisateurs et qui respectent leurs vies privées
Notre démarche de dégooglisation s'inscrit donc dans la continuité des choix politiques portés par les associé·e·s de la coopérative depuis sa création. Par dégooglisation, nous entendons ici le remplacement des logiciels propriétaires — qu'ils soient détenus par les GAFAM ou non — par des logiciels Libres.
Dès le début, il est décidé d'internaliser une partie de l'informatique au sein de l'équipe qui rend les services aux activités de la coopérative. (À Grap, nous utilisons le terme d'activité pour désigner les entreprises associées à Grap et les activités économiques de la Coopérative d'Activités et d'Emploi). La majorité du temps informatique sera dédié au développement du progiciel libre OpenERP (nommé désormais Odoo) pour gérer la première activité d'épicerie (3 P'tits Pois à Lyon) de la coopérative. Par pragmatisme économique et choix stratégique, les autres outils de la coopérative ne sont pas choisis par le critère de logiciel Libre ou non. Ainsi, la coopérative va utiliser Google Drive, Google Mail, Google Agenda, et aussi d'autres logiciels spécifiques comme EBP pour la compta ou Cegid Quadra pour la paie.
Après le départ d'un des cofondateurs et d'un informaticien en 2014, le service informatique va fonctionner avec 1 seule personne jusqu'à fin 2017. Sylvain Le Gal va alors consolider le périmètre existant (gestion d'une eBoutique, développements spécifiques à l'alimentaire dans OpenERP, connexion avec des balances client·es et migration de OpenERP 7.0 à Odoo 8.0). Fin 2017, l'embauche de Quentin Dupont permet de gagner en temps de travail disponible et d'agrandir le périmètre des services du pôle informatique.
Le choix du logiciel remplaçant se fait très facilement : Nextcloud est LA solution Libre qui s'impose autant par sa prise en main relativement simple pour des utilisateur·ices de tout niveau, que par l'engouement de sa communauté et son administration alors maîtrisée par le pôle informatique. Il faut quand même s'assurer que toutes les fonctionnalités utilisées actuellement trouvent leur équivalent. Grâce aux différentes applications existantes sur Nextcloud, les différents besoins se retrouvent bien couverts.
Un changement de logiciel peut être l'occasion de revoir ses pratiques. Nous en profitons pour revoir notre arborescence de fichiers et de dossiers. Nous créons alors :
Avec Nextcloud, nous avons donc pu créer une architecture plutôt simple pour les utilisateur·ices mais permettant de répondre aux complexités du travail collaboratif entre des profils bien différents. Grâce aux droits d'accès paramétrables finement, le Nextcloud permet ainsi d'offrir plus de transparence et de collaboration dans la coopérative, que ce soit par les dossiers partagés totalement ou, à l'inverse, les dossiers dont l'accès n'est possible qu'en lecture sans possibilité de modifier.
Google Drive n'est pas seulement utilisé par l'équipe interne. L'outil est partagé à l'ensemble de la coopérative. C'est à dire à une cinquantaine — à l'époque - d'activités indépendantes, allant de l'entrepreneuse seule à la petite équipe de 10 personnes. Il faut donc embarquer tout le monde dans ce changement.
En allant sur Nextcloud, nous allions maîtriser - et donc être responsables - des données de la coopérative, nous allions retrouver de la souveraineté et de la compétence sur le sujet. Au printemps 2019, nous changeons aussi d'outil de documentation. Pour sa simplicité d'utilisation et son ergonomie générale, nous choisissons le logiciel Libre BookstackApp. Depuis, notre librairie tourne toujours aussi bien et héberge notre documentation informatique mais aussi toute la documentation stable de la coopérative. Depuis 2020, la documentation informatique est librement consultable ici : librairie.grap.coop/shelves/informatique.
L'export fut en effet très compliqué, trop compliqué pour un logiciel conçu par l'une des entreprises les plus puissantes au monde. L'export des données d'un Google Drive (à l'époque en tout cas) est extrêmement long et très peu sécurisant : Google fournit l'export en archives coupées en plusieurs parties (du style ARCHIVE-PART01
ARCHIVE-PART02
), archives dont une partie... pouvait être manquante (ex : on a la partie 01, 02, 04, 05 mais pas la partie 03), nécessitant de refaire un export entier. Nous avons donc passé de nombreuses heures à exporter les données, puis nous les avons sécurisées sur un disque dur externe, avant de les envoyer sur notre Nextcloud.
Pour réussir à dégoogliser la coopérative, pas de miracle, on a enchaîné la formation des activités une à une, en mutualisant des formations par territoire géographique. Chaque formation durait environ 1h30. En 2019, nous avons passé environ 150 heures de travail à la formation, l'accompagnement et la documentation de cette étape de dégooglisation (+ les heures techniques, voir bilan financier à la fin de ce récit). L'ensemble de la documentation - qui est un travail continu - est consultable ici : librairie.grap.coop/books/nextcloud. En janvier 2020, soit plus d'un an après la décision de passer sur Nextcloud, la migration était officiellement finie !
Tout allait bien dans la dégooglisation progressive de la coopérative. Au cours de l'année 2019, la moitié de la coopérative utilise désormais Nextcloud au lieu de Google Drive ! Un des avantages de la coopérative pour les activités est de pouvoir mutualiser de nombreux sujets. Un de ces sujets est l'approvisionnement en produits artisanaux en circuits courts grâce à une logistique interne - Coolivri. Cette logistique s'appuyait à l'époque sur un GROS fichier tableur en ligne sur Google Drive. Le 2 août 2019, une première commande groupée d'oranges et d'agrumes est lancée sur le Nextcloud et toutes les prochaines commandes groupées vont débarquer sur le Nextcloud, géré par l'application Onlyoffice. Et c'est vers cette période que l'on se rend compte que l'application disponible d'Onlyoffice a une limitation : pas plus de 20 personnes connectées simultanément sur l'ensemble des fichiers collaboratifs du nuage ! À l'époque nous devions avoir une soixantaine d'utilisateur·ices et une équipe interne qui l'utilise toute la journée : ce n'était pas tenable.
Cette limitation n'est pas technique, mais bien un choix délibéré de l'entreprise développant le logiciel pour amener à payer une licence permettant d'accéder au logiciel sans limitation. Un modèle freemium en soi. Cette question du modèle économique et de ce qu'est un « vrai » logiciel libre est bien sûr compliqué, et amènera de nombreux débats dans les forums de discussion de Nextcloud.
Fin 2019, nous nous questionnons réellement sur le fait de payer cette licence (coût à l'époque : environ 1500€ en une fois pour 100 utilisateur·ices simultanées).
Après avoir écumé les Internets, contacté toutes les structures amies qui auraient la même problématique, la solution vient finalement de la communauté elle-même qui est partagée sur le fait de contourner cette limitation qui constitue le modèle économique de l'entreprise développant Onlyoffice. Un développeur bénévole a réussi à reproduire le logiciel (légalement car le logiciel est Libre) en enlevant cette limitation !
Depuis, nos commandes groupées ont été rapatriées sur Odoo grâce à un gros développement interne, en faisant un outil beaucoup plus résilient et solide. Et nous continuons d'utiliser Onlyoffice dans des versions communautaires trouvées par ci par là.
Dans la seconde partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation, nous permettant de nous débarrasser de Google Agenda puis du mastodonte : Gmail !
En janvier 2020, après plus d'un an à avoir pris la décision de passer sur Nextcloud en remplacement de Google Drive, la migration était officiellement finie ! Mais voilà, nous passions encore pas mal de temps à ouvrir un onglet Google pour consulter nos agendas, ainsi que nos mails pour les personnes utilisant Gmail en ligne.
Fin septembre 2020, nous décidons collectivement de passer sur l'agenda Nextcloud. Nous nous laissons 3 mois pour commencer l'année 2021 sur le nouvel outil. Quelques personnes (notamment le pôle informatique) vont alors tester en conditions réelles Nextcloud Agenda. Le challenge est sympa car nous décidons de faire ça en pleine migration d'Odoo de version 8 à la version 12, qui est le résultat de pas moins de 1000 heures de temps de travail et 294 tests de non régression. L'export de données de Google Agenda se passe relativement bien, et l'import sur Nextcloud Agenda aussi. Les seuls soucis viennent de soucis d'exportation d'évènements récurrents du côté Google. On demande alors de recréer ces évènements du côté de Nextcloud Agenda. Début 2021, la migration n'est pas possible pour trop de monde dans l'équipe : nous décidons de nous donner du mou et de fixer une date de bascule au 29 mars 2021 après que certains temps collectifs soient passés (l'assemblée générale notamment). Une procédure est écrite pour que chaque personne s'autonomise dans sa migration, mais la majorité de la migration se fait collectivement à la date choisie du 29 mars :
Tout est documenté ici : librairie.grap.coop/books/nextcloud/page/agenda-nextcloud.
Depuis avril 2021, nous sommes donc officiellement toustes sur Nextcloud Agenda. L'application reçoit régulièrement des mises à jour porteuses de fonctionnalités bien chouettes (corbeille, recherche d'évènements, recherche d'un créneau de disponibilité), ou de corrections de bugs.
Nous voilà arrivé·es à la dernière étape qui nous permet de sortir des outils Google pour l'équipage (nouveau nom de l'équipe interne). La plus dure. Même si cette étape ne concerne « que » les membres de l'équipage, cette transformation fut la plus longue à mener. Pourquoi ? Parce que :
D'ailleurs, on l'a constaté empiriquement, les personnes les plus anciennes de Grap furent les personnes les plus compliquées à faire transiter. Autant du point de vue technique (transférer 10 ans de mail est forcement plus compliqué que pour une personne arrivée récemment) que des habitudes prises sur le logiciel.
Conseil num. 1 : plus on s'y prend tôt à se dégoogliser, moins ça sera compliqué dans la conduite du changement de logiciel.
Nous travaillons avec Gandi (gandi.net) pour la majorité des activités de Grap afin de gérer leur nom de domaine et leurs mails. Pourquoi Gandi ?
Thunderbird va être notre pierre angulaire pour cette dé-gmail-isation. Autant pour permettre le transfert des mails de Google à Gandi, que pour travailler ses mails pour la suite. Ce fut une évidence de partir sur Thunderbird au début.
Quelques mois plus tard, après la prise en main de certain·es utilisateur·ices, et de leur critique légitime, on s'est senti obligé de réaliser un banc d'essai (benchmark), qui validera définitivement ce choix.
Les critères suivants ont été retenus :
Mais pourquoi un logiciel de bureau ? Gandi propose en effet deux logiciels en ligne, deux webmails noméms SOGo et Roundcube. Ces logiciels ont des interfaces très différentes mais font sensiblement la même chose en termes de fonctionnalités. Cependant ces logiciels ne proposent pas toutes les fonctionnalités utilisées dans un contexte professionnel (voir les fonctionnalités demandées. SOGo est lourd à l'utilisation et Roundcube a une ergonomie trop ancienne. La comparaison avec Gmail n'est pas flatteuse et ne permettra pas d'embarquer des fervent·es utilisateur·ices de Gmail. Par ailleurs, il nous fallait une solution pour exporter les mails de Gmail à Gandi, et Thunderbird est le logiciel candidat idéal, permettant d'avoir conjointement deux boîtes mails l'une à côté de l'autre, permettant notamment de transférer facilement ses mails.
Pour être certain de pouvoir sortir de Google, il faut s'assurer que les collègues vont retrouver leurs petits, ou que l'on assume collectivement que l'on perdra des usages / fonctionnalités en passant sur Thunderbird. Pour cela, nous envoyons un sondage (nuage.grap.coop/apps/forms/qQ9FQowWZfYsjs2n) qui nous permet d'y voir plus clair sur les fonctionnalités utilisées par l'équipe pour ajuster nos formations, documentations et recherches de modules complémentaires dans Thunderbird.
Sur la question « Sur une échelle de 0 à 6, est-ce que tu souhaites être précurseur·se de ce changement ? (0 : non / 6 : trop chaud·e) », la moyenne et la médiane est à 3,5.
Les gens sont donc... moyennent chaud·es en général !
Voici les points les plus bloquants pour un passage sur Thunderbird selon notre analyse :
Pour réussir ce changement de logiciel, il faut que les étapes soient claires et transparentes pour les utilisateur·ices. Cela leur permet de se projeter : « ok dans 6 mois / 1 an je change d'outil et je sais à peu près ce qui m'attend ! ». Après ce premier sondage, un calendrier a donc été partagé, indiquant les différentes dates menant à la dégooglisation de tout le monde.
4 personnes sur 20 utilisent déjà Thunderbird. Pour les 16 autres, nous prévoyons d'étaler les formations par petits groupes sur 3 mois : les personnes les plus intéressées commencent dès mi-octobre, et les personnes les plus frileuses seront formées en janvier, ce qui nous laissera le temps d'avoir des retours, d'ajuster la formation et la documentation. La formation suit le programme que vous pouvez retrouver ici : librairie.grap.coop/books/mail/page/plan-de-presentation-thunderbird :
La documentation va jouer un rôle très important dans la dégooglisation. Et dès septembre, on va mettre le paquet pour tout bien documenter.
Ce travail de plusieurs mois va être itératif : chaque formation apporte son lot de questions, ou de bugs, ou de besoins qu'il faut alors ocumenter et faire repartager à tout le monde. De nombreux points mails (ou des messages informels) sont envoyés à l'équipe pour leur faire part des retours, de l'avancée et des nouveaux modules complémentaires ou paramétrages trouvés pour faciliter l'utilisation de Thunderbird.
Thunderbird a des défauts indéniables. Mais dans cette dégooglisation, on n'est pas aidé par Gmail qui aime bien avoir des comportements... embêtants. Une de ses particularités est le traitement des mails dans un dossier appelé « Tous les messages ». Pour citer la doc officielle de Thunderbird :
Tous les messages : contient une copie de tous les messages de votre compte Gmail, en incluant le dossier « Courrier entrant », le dossier « Envoyé » et les messages archivés.
Donc si vous avez 10 000 messages entrants et sortants, Thunderbird va télécharger 20 000 mails. Sachant qu'on retrouve tous ses mails dans Courrier entrant et Envoyés, ce dossier ne sert donc à rien. Après plusieurs semaines d'utilisation, et certains ralentissements au lancement de Thunderbird, nous avons fini par conseiller aux gens de se désabonner de ce dossier. D'autres conseils seront documentés par la suite ici : librairie.grap.coop/books/mail/page/thunderbird-et-gmail
Le calendrier des formations a été quasiment tenu. C'est seulement en janvier que certaines formations n'ont pas eu lieu, du fait de difficultés professionnelles rencontrées dans certains pôles de l'équipe. Il ne restait alors que 2 personnes à former. Mais entre temps, Quentin qui est responsable de cette dégooglisation, est parti en congés sans solde en février-mars. La décision avait été prise de ne pas se presser avant son départ et de faire le point en avril, nous y voilà.
Nous décidons de :
Conseil num. 2 : Nous prenons aussi la décision que Quentin ne soit pas le seul à porter ce projet. Il ressent une charge mentale et une certaine pression à gérer les retours des personnes en difficulté. Pour ne pas non plus tomber dans une posture de l'informaticien libriste qui impose le choix, et pour bien affirmer que nous prenons des choix collectivement, nous allons dé-personnifier le projet. Désormais le travail sera soutenu et partagé avec Sandie, et les mails signés par le pôle informatique.*
Enfin ! Nous avons trouvé un moyen de répondre aux soucis de recherche sur Thunderbird. Avec un habile mélange de dossier virtuel et d'un module complémentaire de recherche avancée, nous parvenons à lier rapidité et complexité de recherche ! Nous le documentons dans la partie 4 de ce tuto : librairie.grap.coop/books/mail/page/recherche-mail-booste.
Notre comité de pilotage ne prend pas une décision ferme. On continue juste à valider de travailler sur cette dégooglisation. En dehors de tous les aspects politiques, en sortant de Google, nous allons cesser de payer 2000€/an pour les comptes pros que nous avons, et c'est toujours ça de gagné dans un moment de crise économique ! Deux mois plus tôt, nous avions envoyé un formulaire à l'équipe, commenté par cette phrase qui résume son intention : « Vive le consentement, à bas la coercition », pour prendre la température de l'équipe sur l'utilisation de Thunderbird. Voici notre analyse résumée des résultats :
Les personnes n'ayant pas encore franchi l'étape Thunderbird sont :
Les difficultés principales vis-à-vis de l'outil sont :
Cependant :
Pourtant :
Les personnes revenues sur Gmail l'expliquent par :
Nous décidons alors :
Conseil num. 3 : nous avions 17 boîtes mails à recréer et 80 redirections de mails assez complexes à réaliser. C'est un travail fastidieux qui demande de se concentrer pour ne pas louper un mail dans la redirection mail créée. Car non, il n'existait pas d'export Google des « groupes Google » que nous utilisions. Le conseil est donc le suivant : partagez le travail :) Merci Sandie pour ce gros taf !
Alors que nous venions de fixer le créneau de départ de Google (début août), Thunderbird sort sa dernière version (la 102), le 29 juin. Cette version apporte de très nombreuses améliorations ergonomiques, rendant le logiciel bien plus agréable à utiliser. Et quand on utilise un logiciel toute la journée, ce n'est pas un petit détail que de pouvoir modifier la taille d'affichage, la taille de police, les couleurs des dossiers mails ou encore une gestion des contacts totalement re-désignée. Leur annonce officielle est publiée sur le blog Thunderbird.
Et les bonnes nouvelles s'enchaînent :
Depuis quelques mois, on discutait avec Gandi pour nous assurer que la procédure était la bonne. Quel plaisir d'avoir des gens qui répondent rapidement à ces demandes. Merci ! Nous étions donc plutôt prêts pour ce switch. Le mardi 9 août à 22h00, alors que les collègues sont pour la plupart en vacances, on change les DNS du domaine grap.coop
(DNS = règles techniques qui disent ce qui se passe avec grap.coop
) pour débrancher Google et brancher Gandi. Le mardi 9 août à 23h50, après quelques tests d'envoi et de réception de mails, j'annonce officiellement que tout semble fonctionner comme prévu. Les mails de Gandi partent bien. On reçoit bien les mails sur la nouvelle boîte mail. Le monde n'a pas cessé de tourner. Victoire !
En créant toutes les boîtes mails sur Gandi, nous nous étions rendu compte des cas particuliers (des personnes qui avaient un compte mail mais qui n'étaient pas ou plus dans l'équipe par exemple) mais ce n'est que tardivement qu'on a réalisé que la boîte mail serveurs -arobase- grap.coop
servait de boîte d'envoi à l'ensemble des mails du logiciel Odoo utilisé par les 65 activités. Comment cela allait se comporter en passant chez Gandi ? Deux soucis sont encore en cours :
serveurs grap.coop
mais lors de l'envoi, prend l'identité de l'activité qui envoie un mail.La solution future : améliorer l'envoi de mail sur Odoo pour que chaque activité puisse envoyer avec les informations de sa vraie boîte mail.
serveurs -arobase- grap.coop
ne sont pas automatiquement enregistrés dans le dossier /Envoyés
¶/Envoyés
./Envoyés
. Ce qui était pratique pour vérifier que le mail était bien parti.La solution future : améliorer l'envoi de mail sur Odoo pour que le mail arrive dans le dossier /Envoyés
.
Malgré la déconnexion technique du nom de domaine grap.coop avec Google, il était encore possible de se connecter à Gmail et d'envoyer des mails. Alors certes, les réponses n'arrivaient plus sur Gmail, mais cela permettait encore aux irréductibles de résister au changement ! Surtout, même après avoir supprimé le compte Google sur Thunderbird (n'ayant alors que le compte Gandi), un paramétrage technique (le serveur SMTP d'envoi) faisait que les mails envoyés l'étaient par le serveur Google. Donc au moment de la suppression réelle du compte Google, l'envoi par Thunderbird était bloqué. Ce n'est pas un gros souci, mais nous avons documenté le petit changement à faire.
Après la dégooglisation technique, place à la dernière étape, supprimer réellement les comptes Google. Chaque personne devait suivre un tutoriel nommé « Google débranché - La suite » sur librairie.grap.coop/books/mail/page/google-debranche-la-suite comportant ces étapes :
Il a fallu 2 mois pour que les 30 personnes concernées suivent réellement ce tutoriel - voire rattrapent leur « retard » pour sortir leur mail de Google. Ce fut l'une des étapes les plus chronophages en termes de relance, de suivi personnel, de questions / réponses, de gestion de cas particuliers (certaines personnes n'avaient pas pu transférer leur mail à cause d'une connexion Internet trop faible par exemple). C'est aussi à ce moment que l'on devait bien vérifier qu'aucune autre donnée n'était encore stockée sur Google Drive / Google Photos / Agenda etc., ce qui a ralenti quelques personnes.
Conseil num. 4 : pour motiver chaque personne à passer le pas, communiquer de façon informelle et encourageante !
Même si nous avons tout fait pour être coercitifs, certaines personnes ont besoin de date limite pour prioriser leur travail. Trois semaines avant, la date butoir du 07 octobre est donc fixée pour motiver les dernières personnes.
La première date butoir et les nombreuses relances n'ont pas suffi à faire remonter en priorité n°1 à tou·te·s les collègues de sortir de Gmail.
Comme nous ne sommes pas des grands méchants, et que nous comprenons les difficultés et calendrier de chacun·e, nous redonnons du rab : le mardi 23 novembre. La veille de la fête des 10 ans de Grap, cela semble une date symbolique et assez lointaine pour réellement partir. Pour de bon.
Le mardi 23 novembre, à 13h35, nous étions 5 à nous réunir autour d'un ordinateur, observant ce moment... un peu stressant, comme quand on part d'un lieu en espérant n'y avoir rien oublié. À 13h43, Google était derrière nous.
Après la sortie de Google Drive remplacé par Nextcloud, Google Agenda par Nextcloud Agenda, nous avons fini par le plus gros bout en 2021-2022, sortir de Gmail et en finir avec le tentaculaire Google. Le mardi 23 novembre, nous débranchions enfin Google. Nous voilà libres ! Presque...
Après 4 ans de dégooglisation, où en sommes-nous de notre utilisation de logiciels non libres ?
Système d'exploitation | Libre ? | Commentaire |
---|---|---|
Windows | non | 13 personnes |
Ubuntu | oui | 9 personnes |
Nextcloud Files | oui | Tout le monde depuis 2020 |
Nextcloud Agenda | oui | Tout le monde depuis 2021 |
Téléphonie et visio | ||
3CX | non | Tout le monde |
Nextcloud Discussions | oui | |
Mail et nom de domaine | ||
Gandi | oui | Tout le monde depuis 2022 |
Logiciels métier | ||
Odoo (suivi des actis, achat/revente, facturation) | oui | Pôles info, accompagnement et logistique |
EBP (compta) | non | Pôle compta |
Cegid (paie) | non | Pôle social |
Gimp, Inkscape, Scribus (graphisme et mise en page) | oui | Pôle communication |
BookstackApp (documentation) | oui | Tous pôles |
Logiciels bureautique | ||
Suite Office | non | |
Suite LibreOffice | oui | |
Réseaux sociaux | ||
Facebook, Linkedin, Twitter, Eventbrite | non | |
Peertube | oui |
Nos pistes d'amélioration en logiciel libre sont donc du côté du système d'exploitation et des logiciels métiers. Les blocages sont dus :
Système d'exploitation | Libre ? | Commentaire |
---|---|---|
Ubuntu | oui | Dans tous les points de vente ordinateurs portables |
Windows ou Mac | non | Les autres ordinateurs portables |
Gestion documentaire et travail collaboratif | ||
Nextcloud Files | oui | Tout le monde y a accès depuis 2020 |
Fournisseur mail principal | ||
Gandi | oui | 55% |
Gmail | non | 37% |
Ecomail | ? | 4% |
Logiciels métier | ||
Odoo (achat, revente, stock, facturation, intelligence décisionnelle) | oui | Utilisé par 95% des activités |
Autres | oui et non | Dur à dire, mais la majorité des activités de transformation utilise des tableaux Excel ou des logiciels dédiés |
Logiciels bureautique | ||
Suite Office | non | Pas de référencement fait. Aucune visibilité actuellement |
Suite LibreOffice | oui |
Nos pistes d'amélioration sont donc du côté des logiciels mails et des logiciels métiers. Un des gros chantiers de 2022-2023 est justement le développement et la migration sur Odoo Transfo. Pas pour le côté politique du logiciel libre mais bien de l'amélioration continue d'un même logiciel partagé dans la coopérative. À voir si la dégooglisation de l'équipe « inspire » certaines activités pour se motiver à se dégoogliser. Nous serons là pour les accompagner et continuer à porter le message à qui veut l'entendre.
À l'heure où nous écrivons (fin octobre 2022), il est trop tôt pour faire le bilan de la sortie de Gmail. Nous comptons d'ailleurs envoyer un nouveau questionnaire dans quelques mois qui nous permettra d'y voir plus clair. Mais nous pouvons d'ores et déjà dire que ce fut clairement l'étape la plus compliquée de la dégooglisation. Sortir d'un logiciel fonctionnel, performant et joli est forcément compliqué quand on migre vers un logiciel aux logiques différentes (logiciel bureau VS web par exemple) et qui souffre de la comparaison au premier abord. Pour compenser cela, nous avons fait le choix de dédier beaucoup de temps humain (nombreuses formations par mini groupes ou en individuels, réponses rapides aux questions posées) et beaucoup de documentations et de partage de retour d'expériences.
La sortie de Google Drive et Google Agenda furent relativement douces et moins complexes que Gmail. Le logiciel Nextcloud étant assez mature pour assurer un changement plutôt simple et serein. Ça paraît simple une fois énoncé, mais plus les gens travaillent avec un outil (Google par exemple), plus il sera difficile de les amener à changer facilement d'outil.
Conseil num. 5 : Dans la mesure du possible, la meilleure des dégooglisation est celle qui commence dès le début, par l'utilisation d'outils Libres. En 2022, quasiment tout logiciel a son alternative Libre mature et fonctionnel. Si ce n'est pas possible, dès que les moyens humains sont disponibles et que la majorité le veut, envisagez votre dégooglisation !
À Grap, il existe une certaine culture politique de compréhension autour des enjeux du logiciel libre et des GAFAM. Cela nous a aidé. Et cela nous parait quasiment obligatoire avant d'envisager une dégooglisation. Car c'est un processus long où l'on a besoin du consentement - au moins théorique - des gens impactés pour que celleux-ci acceptent de se former à de nouveaux outils, s'habituer à de nouvelles habitudes etc.
Conseil num. 6 : avant d'entamer une dégooglisation, faire monter en compétences votre groupe sur les sujets autour du Logiciel Libre et des enjeux des Gafam à travers des projections de films par exemple. Voici un récap. de quelques ressources : librairie.grap.coop/books/degooglisation/page/sinformer-quelques-liens-utiles.
Voici nos choix de logiciels pour notre dégooglisation :
nemskiller007/officeunleashed
puis désormais alehoho/oo-ce-docker-license
)Voici nos choix d'infrastructure :
Pour calculer le coût économique de notre dégooglisation commencé en 2018, voici les chiffres retenus.
Le scénario Dégooglisation est celui réellement effectué depuis 2018. Son coût comprend :
À l'opposé, le scénario Google comprend :
En prenant en compte ces données, le scénario Dégooglisation finit par devenir moins cher que le scénario Google.
Pour le coût mensuel, cela arrive dès septembre 2022 (quasi à la fin de la sortie de Gmail donc) ! Pour le coût cumulé, cela devient rentable deux ans après, en septembre 2024 !
Ces chiffres s'expliquent par :
Nous sommes fièr·es en tant que coopérative de porter concrètement nos valeurs dans le choix de nos logiciels qui sont plus que de simples outils. Ces outils sont porteurs de valeurs démocratiques très fortes.
Nous ne voulons pas continuer à engraisser Google - et autres GAFAM - de nos données privées et professionnelles qui les revendent à des entreprises publicitaires et des états à tendance anti-démocratique (voir les révélations Snowden, le scandale Facebook-Cambridge Analytica).
Cela est en contradiction avec ce que nous prônons : la coopération, de l'entraide et le lien humain. Nous avons besoin d'outils conviviaux, modulables et modifiables selon qui nous sommes. Nous avons besoin de pouvoir trifouiller les outils que nous utilisons, comme nous pouvons trifouiller un vélo pour y réparer le frein ou y rajouter un porte-bagages. Des outils émancipateurs en somme, qui nous empouvoire et ne rendent pas plus esclave de la matrice capitaliste.
Notre démarche n'aurait pas pu avoir lieu sans le travail et l'aide de millions de personnes qui ont construit des outils Libres, des documentations Libres, des conférences et autres vidéos Libres. Elle n'aurait pas eu lieu non plus sans l'inspiration de structures comme Framasoft ou la Quadrature du Net. Merci.
La route est longue, la voie est libre, et sur le chemin nous y cueillerons des pommes bios et paysannes.