un billet sur mon blog à ce sujet. Mais ensuite, passer du perso à l'entreprise, c'était plus compliqué, plus lent aussi. Par ailleurs nous devions faire évoluer nos systèmes d'information et remettre tout à plat.
...et vos objectifs ?
Il y a clairement plusieurs objectifs dans cette démarche.
Quel lien avec les valeurs de votre maison d'édition ?
Les concepts de liberté et de responsabilité sont régulièrement présents dans les livres que nous éditons. Réussir à gagner petit à petit en cohérence est un vrai plaisir. Partage et permaculture... Ce que je fais sert à autre chose que mon besoin propre...
Qui a travaillé sur cette démarche ?
Aujourd'hui ce sont surtout Dominique et moi-même qui travaillons sur les tests et la mise en place des outils. Des entreprises associées : Symétrie sur Lyon, B2CK en Belgique , Dominique Chabort au début sur la question de l'hébergement. Un des problèmes aujourd'hui est clairement le temps insuffisant que nous parvenons à y consacrer. Aujourd'hui, la place du SI est pour nous primordiale pour prendre soin comme nous le souhaitons de nos contacts, lecteurs, pour diffuser notre catalogue et faire notre métier.
Vous avez les compétences pour faire ça dans l'entreprise ?
Il est clair que nous avons plus que des compétences basiques. Elles sont essentiellement liées à nos parcours et à notre curiosité : si Dominique a une expérience de dev et chef de projet que je n'ai pas, depuis 1987 j'ai eu le temps de comprendre les fonctionnements, faire un peu de code, et d'assemblages de briques ;-)
Combien de temps ça vous a pris ?
Je dirais que la démarche est réellement entamée depuis 2 ans (le jour ou j'ai hébergé sauvagement un serveur NextCloud sur un hébergement mutualisé chez OVH). Et aujourd'hui il nous faudrait un équivalent mi-temps pour rester dans les délais que nous souhaitons.
Ça vous a coûté de l'argent ?
Aujourd'hui ça nous coûte plus car les systèmes sont un peu en parallèle et que nous sommes passés de Google « qui ne coûte rien » à l'hébergement sur un VPS pour 400 € l'année environ. Mais en fait ce n'est pas un coût, c'est réellement un investissement. Nous ne pensons pas que nos systèmes nous coûteront moins chers qu'actuellement. Mais nous estimons que pour la moitié du budget, chaque année, les coûts seront en réalité des investissements. Les coûts ne seront plus pour l'utilisation des logiciels, mais pour les développements. Ainsi nous pensons maîtriser les évolutions, pour qu'ils aillent dans notre sens, avec une grande pérennité.
Quelles étapes avez-vous suivi lors de cette démarche de dégooglisation ?
Ah... la méthodologie :-) Elle est totalement diffuse et varie au fil de l'eau. Clairement, je n'ai AUCUNE méthode (c'est même très gênant par moment). Je dirais que je teste, je regarde si ça marche ou pas, et si ça marche moyen, je teste autre chose. Heureusement que Dominique me recadre un peu par moment. Beaucoup d'échanges et de controverse. Surtout que le choix que nous faisons fait reposer la responsabilité sur nous si nous ni parvenons pas. Nous ne pouvons plus nous reposer sur « c'est le système qui ne fonctionne pas », « nous sommes bloqué·e·s par l'entreprise ». C'est ce choix qui est difficile à faire. La démarche c'est les rencontres, les échanges, les témoignages d'expériences des uns et des autres... Et puis surtout : qu'avons nous envie de faire, réellement... Dans un premier cas, est-ce que cela me parle, me met en joie d'avoir un jolie SI tout neuf ? Ou cela nous aiderait au quotidien, mais aucune énergie de plus. Dans l'option que nous prenons, l'idée de faire pour que cela aide aussi les autres éditeurs, que ce que nous créons participe à une construction globale est très réjouissant... La stratégie est là : joie et partage.
Au début ?
Un peu perdu, peur de la complexité, comment trouver les partenaires qui ont la même philosophie que nous... Mais finalement le monde libre n'est pas si grand, et les contacts se font bien.
Ensuite ?
Trouver les financements, et se lancer.
Et à ce jour, où en êtes-vous ?
À ce jour nous avons totalement remplacé les GoogleDrive, Hubic et Wetransfer par Nextcloud ; remplacé également GoogleHangout par Talk sur Nextcloud. Facebook, Instagram et Twitter sont toujours là... Mais nous avons un compte sur Mastodon ! Youtube est toujours là... Mais le serveur Peertube est en cours de création et Funkwhale pour l'audio également. Concernant l'administration de ces outils, je suis devenu un grand fan de Yunohost : une solution qui permet l'auto-hébergement de façon assez simple et avec communauté très dynamique. Notre plus gros projet est dans le co-développement d'un ERP open source : Oplibris Ce projet est né en 2018 après une étude du Coll.LIBRIS (l'association des éditeurs en Pays de la Loire) auprès d'une centaine d'éditeurs de livres. Nous avons constaté qu'il n'existait à ce jour aucune solution plébiscité par les éditeurs indépendants qui ont entre 10 et 1000 titres au catalogue. Nous avons rencontré un autre éditeur (Symétrie, sur Lyon) qui avait de son côté fait le même constat et commencé à utiliser Tryton. (je profite de l'occasion pour lancer un petit appel : si des dev flask et des designers ont envie de travailler ensemble sur ce projet, nous sommes preneurs !) Migrer LMB, notre ERP actuel, vers Oplibris est vraiment notre plus gros chantier. À partir de là, nous pourrons revoir nos sites internet qui viendront se nourrir dans ses bases et le nourrir en retour.
Combien de temps entre la décision et le début des actions ?
Entre la décision et le début des actions : environ 15 secondes. Par contre, entre le début des actions et les premières mise en place utilisateur environ 6 mois. Ceci dit, de nombreuses graines plantées depuis des années ne demandaient qu'à germer.
Avant de migrer, avez-vous testé plusieurs outils au préalable ?
J'ai l'impression d'être toujours en test. Par exemple, Talk/Discussion sur Nextcloud ne répond qu'imparfaitement à notre besoin. Je préférerais Mattermost, mais le fait que Talk/Discussion soit inclus dans Nextcloud est un point important côté utilisateurs. Nous mettons de grosses contraintes éthiques, de ce fait les choix se réduisent d'eux-mêmes, il ne reste plus beaucoup de solutions. Lorsqu'on en trouve une qui nous correspond c'est déjà énorme !
Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices ?
L'équipe est assez réduite et plutôt que de prévoir de la documentation avec des captures écran ou de la vidéo, je préfère prendre du temps au téléphone ou en visio.
Prévoyez-vous des actions plus élaborées ?
Nous n'en sommes pas à ce stade, probablement que si le projet se développe et est apprécié par d'autres, des formations entre nous seront nécessaires.
Quels ont été les retours ?
Il y a régulièrement des remarques du genre : « Ah mais pourquoi je ne peux plus faire ça » et il faut expliquer qu'il faut faire différemment. Compliqué le changement des habitudes, ceci dit l'équipe est bien consciente de l'intérêt de la démarche.
Comment est constituée « l'équipe projet » ?
Dominique, B2CK, Symétrie.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
La difficulté majeure est de trouver le bon équilibre entre la cohérence des outils et l'efficacité nécessaire dans le cadre d'une entreprise. Le frein majeur côté utilisateurs est de faire migrer les personnes qui utilisent encore Gmail pour le traitement de leur courriel. L'interface est si pratique et la recherche tellement puissante et rapide qu'il est compliqué de le quitter. Une autre difficulté est d'ordre comptable et financier : comment contribuer financièrement à ce monde du logiciel libre ? Comment donner ? A quelles structures ? (aujourd'hui nos financements vont principalement au développement de Tryton).
Et l'avenir ? Envisagez-vous de continuer cette démarche pour l'appliquer à d'autres aspects de votre organisation ?
Côté création, j'aimerais beaucoup que nous puissions utiliser des outils libres tels que Scribus, Inkscape, Krita ou GIMP plutôt que la suite Adobe. Mais aujourd'hui ces outils ne sont pas adoptés par l'équipe de création car trop compliqués d'utilisation et pas nativement adaptés à l'impression en CMJN. Une alternative serait d'utiliser la suite Affinity (mais qui n'est pas open source...)
Quels conseils donneriez-vous à d'autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?
Y prendre du plaisir ! Mine de rien, la démarche demande du temps et de l'attention. Il faut confier ça à des personnes qui prennent ça comme un jeu. Oubliez la notion de temps et de délais, optez pour les valeurs qui soient plus la finalité et le plaisir. Au pied de la montagne entre prendre le téléphérique ou le chemin à pied ce n'est pas le même projet, vous n'avez pas besoin des même moyens.
Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?
Sommes-nous les outils que nous utilisons ? Libres ? Quitter les réseaux sociaux centralisés est extrêmement complexe. Je manque encore de visibilité à ce sujet et ça risque d'être encore très long. J'ai proposé à l'équipe une migration totale sans clore les comptes mais avec un mot régulièrement posté pour dire « rejoignez-nous ici plutôt que là ». Mon rêve serait d'embarquer au moins une centaine d'entreprises dans une telle démarche pour tous faire sécession le même jour. Des volontaires ? :-)